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« L'interrogation à laquelle nous devons répondre est à la fois simple et difficile : qu'est-ce qu'être français? Elle taraude notre peuple car le doute dont nous parlions s'est installé.[...] Il me semble qu'être français, c'est d'abord habiter une langue et une histoire, c'est-à-dire s'inscrire dans un destin collectif.[...]Etre français, c'est aussi une citoyenneté définie par des valeurs "liberté, égalité, fraternité, laïcité" qui reconnaissent l'individu rationnel libre comme étant au-dessus de tout. »

 

Emmanuel Macron à l’Express, déc. 2020

 

 

Quelle identité

 

pour les Français d’aujourd’hui ?

 

 

 

Quand Fernand Braudel publia “l’Identité de la France”, à partir de 1986, son livre ne fit pas polémique. Mais quand Nicolas Sarkozy, en 2009-2010, initia un colloque sur le sujet, ce fut une levée de boucliers. Le sujet était tabou car il ne fallait pas mêler sa voix à celle du Front national.

 

 

 

Le problème, c’était déjà la place de l’immigration – et plus spécialement de l’immigration maghrébine – dans notre pays et celle de l’Islam dans notre société.

 

Les considérations politiques l’ont alors emporté sur la réflexion historique, géographique et philosophique. Et pourtant, n’était-il pas légitime de s’interroger sur ce qui « fait nation » et sur ce que signifie aujourd’hui « être français » ?

 

« Je crois que le thème de l'identité française s'impose à tout le monde, qu'on soit de gauche, de droite ou du centre, de l'extrême gauche ou de l'extrême droite, déclarait Fernand Braudel au journal Le Monde, en 1985, peu avant sa mort. C'est un problème qui se pose à tous les Français. D'ailleurs, à chaque instant, la France vivante se retourne vers l'histoire et vers son passé pour avoir des renseignements sur elle-même. Renseignements qu'elle accepte ou qu'elle n'accepte pas, qu'elle transforme ou auxquels elle se résigne. Mais, enfin, c'est une interrogation pour tout le monde.

 

Et d’ajouter : « L'identité française relève-t-elle de nos fantasmes collectifs ? Il y a des fantasmes et il y a autre chose. Si j'ai raison dans ma vision de l'identité française, quels que soient nos pensées, nos fantasmes, il y a une réalité sous-jacente de la culture, de la politique de la société française. J'en suis sûr. »

 

Pour J.P. Chevènement, interrogé en octobre 2009, « La France est une identité d'adhésion, où chacun vient avec son cœur. » 

 

Pour Marc Ferro, interrogé en 2017, « L'identité de la France, dans le regard des autres, c'est surtout, me semble-t-il, notre histoire, notre "odyssée" historique. D'où l'abondance des interrogations et des disputes nourries qu'elle suscite dans notre discussion publique. Pour les uns,[...] l'identité de ce pays, c'est d'abord le récit national; pour d'autres, c'est le produit d'une démarche scientifique et réflexive exigeante, appuyée sur les sciences humaines.  

 

Mais les deux exercent leur fonction. Les sciences humaines et sociales, bien sûr, ne dédaignent pas le roman national, mais elles ne croient pas que celui-ci dise pour autant la vérité. Même si l'image de "la Grande Nation" a moins d'éclat aujourd'hui, même si elle reflète un certain désenchantement, la France reste un exemple qu'on interroge dans de nombreux pays, comme l'Amérique latine ou le Canada. Elle semble à la fois moins exceptionnelle et plus observable à la lumière d'une lucidité dépassionnée. »  

 

***

 

Quoi qu’il en soit, la question se pose avec de plus en plus d’acuité. Et ne pas tenter d’y répondre de manière dépassionnée, c’est laisser le champ libre aux « extrêmismes identitaires »  qui veulent rejouer « Charles Martel à Poitiers ».

 

Pour ma part, vieil homme né avant la deuxième guerre mondiale, j’ai la nostalgie de la France des clochers, si bien que je suis déboussolé quand, débouchant du métro à Toulouse, derrière le Capitole, j’ai l’impression de me retrouver à Alger à la fin des années cinquante ! Je sais toutefois que la France d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et que l’immigration récente modifie ipso facto notre identité. Une immigration qui n’a d’ailleurs pas toujours été spontanée. Les employeurs français sont allés pendant des années recruter leur main d’œuvre en Afrique, après l’avoir recrutée en Italie, en Pologne, en Espagne...

 

Jadis, les immigrés européens, après avoir été quelquefois mal accueillis – on les accusait de manger le pain des Français ! – se sont plutôt bien intégrés. Il faut dire qu’ils venaient de pays de culture chrétienne et que leur intégration ne posait pas de gros problèmes, même pour les Juifs qui se sont de tous temps adaptés aux pays où ils étaient condamnés à vivre. Quant aux asiatiques, leur discrétion leur a permis de s’intégrer sans se couper complètement de leur culture originelle.

 

La donne a changé avec l’arrivée des musulmans. Pas immédiatement : les premiers arrivants, imprégnés de soumission colonialiste, se sont faits invisibles. Ce sont leurs descendants qui ont de plus en plus souvent recherché à renouer avec leurs racines, fantasmant ainsi une identité originelle – à la grande déception de ceux qui, retournant au pays de leurs ancêtres, se retrouvaient considérés, à juste titre, comme des étrangers. Un certain nombre d’entre eux se sont intégrés, qu’on peut voir au cinéma, à la télévision ou dans la vie courante. Mais combien sont restés, à tort ou à raison, au fond des « quartiers » où on les a parqués,  à vivre d’expédients ou d’assistance sociale !

 

Certains ont voulu magnifier la diversité culturelle dans laquelle ils voyaient une occasion d’enrichissement. Cela aurait pu marcher si l’empilement des cultures se fondait sur un socle commun, si on ne cherchait pas à renier le passé de la France qui a gagné de haute lutte le statut de « république laïque et sociale ». Hélas, de nos jours, certains se vautrent dans une interminable repentance et notre pays se déchire culturellement entre ceux qu’on juge dominants et ceux et celles qui se sentent dominés. L’école ne peut plus jouer son rôle fédérateur. Les tendances centrifuges sont devenues les plus fortes, accentuées par des influences étrangères.

 

Qu’on le veuille ou non, notre pays ne se situe pas en « terre d’Islam » et n’est pas une simple juxtaposition de communautés. Notre culture a été fortement marquée par notre passé chrétien, même si nos « racines » puisent également dans bien d’autres terreaux. Nous ne travaillons ni le dimanche, ni le jour de Noël, ni à l’Ascension, ni le 15 août... Nous comptons les années à partir de la prétendue date de naissance du mythique Jésus-Christ. Cependant le nom de nos jours ou de nos mois de la mythologie greco-romaine et notre numération vient des Arabes. L’Islam y a toute sa place comme religion, au même titre que les autres, mais un Islam modernisé et adapté à notre pays. Un Islam qui, comme le suggère Faris Lounis, universitaire et journaliste algérien, saurait «  accéder à la majorité », c’est-à-dire «  avoir le courage, avoir une attitude héroïque quant à la réclamation du droit de lire et de comprendre librement le Coran – historiquement et philologiquement – et la religion islamique sans aucune pression ou recommandation de la doxa sunnite qui dessine les contours du bien et du mal, de ce qu’il faut comprendre et ne pas comprendre, du comment il faudrait croire, du comment faire habiller sa femme et ses filles, etc. Pour lui, «  être moderne, c’est trouver une ligne de fuite par laquelle la raison pourrait s’introduire dans un immense océan de déraison. Et c’est là que la religion sera sauvée par la laïcité, car celui qui se dirigera vers elle sera motivé par une foi bonne et pure, ni contrainte, ni craignant les feux de l’enfer, ni en quête de légitimation politique et sociale ».

 

Sans renier notre passé ni refuser les apports extérieurs, il serait temps de renouer avec une stricte laïcité qui permette à chacun d’être soi-même sans se séparer des autres. Nous pourrons alors nous sentir membres d’une même nation et, pour certains, prendre notre place dans la lutte des classes plutôt que dans des guerres de religion.

 

 

 

Jean MOUROT

 

Laïcité et sécularisme

 

 

 

 

Si la laïcité à la Française est une exception dans le monde, de nombreux états, en Occident principalement, ont su plus ou moins officiellement séparer récemment le politique du religieux. Ils se sont sécularisés mais pas vraiment laïcisé pour autant.

 

 

 

Il existe encore, hélas !, de nombreux pays qui, à l’instar du Vatican ou de la République islamique d’Iran, sont de type théocratique, où la religion dominante régit autant la vie publique que la vie privée. En terre d’Islam, quand la Charia est à la base de la législation officielle, il est difficile de penser et de vivre en dehors des dogmes officiellement reconnus – qu’on pense, par exemple, au Mauritanien Mohamed Cheikh Mkhaitir, condamné à mort pour « apostasie » en 2014 et finalement expulsé en France à la suite d’une campagne internationale en sa faveur. Le Pakistan, l’Afghanistan... se définissent comme républiques islamiques. Et dans bien d’autres pays, quand bien-même on tolère d’autres religions que la religion dominante, on inscrit dans la constitution, comme en Indonésie, dans son article 29 que « L’Etat est fondé sur la foi en un Dieu un et unique ».

 

***

 

En Occident, selon Thierry Rambaud (« Société, droit et religion », 2012.),  « On identifie en général trois modèles de relations entre les cultes et l’État dans l’Europe communautaire  : le modèle des Églises d’État (Angleterre, Danemark, Finlande), les régimes de séparation dits « stricts » (France, Pays-Bas, Irlande) et les régimes dits de « séparation-coopération » (Allemagne, Belgique, Autriche, Espagne, Italie…)  Dans ces derniers – qui se disent pourtant officiellement laïques – les religions bénéficient d’avantages substantiels.  

 

En Allemagne, l’État est constitutionnellement laïque mais comme on y considère que les religions contribuent à la cohésion de la société, l’État collabore avec de nombreuses organisations confessionnelles. Dans la plupart des Länder, les élèves des écoles publiques ont des cours de religion et les théologiens étudient dans les universités publiques. L’État prélève un impôt au bénéfice des Églises qui financent ainsi leurs dépenses.

 

En Italie, le nouveau Concordat négocié en 1984 indique que les principes du catholicisme appartiennent au "patrimoine historique du peuple italien". Par ailleurs, l’enseignement des religions, en particulier la religion catholique, reste obligatoire à l’école.  

 

En Espagne – où lÉtat est séparé de l'Église depuis 1978 – l’article 16.3 de la Constitution précise qu’« aucune confession n’aura de caractère étatique. [ Cependant] les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et maintiendront en conséquence des relations de coopération avec l’Eglise catholique et les autres confessions », l'Église catholique étant reconnue comme celle de la "majorité des Espagnols". L’instruction religieuse est une matière obligatoire à l'école.

 

Au Portugal, la Constitution affirme la laïcité de l’État. Pourtant le pays a signé un concordat avec le Vatican qui garantit "le caractère exceptionnel des relations entre le Portugal et l’Église catholique". Il organise notamment l’enseignement religieux dans les écoles publiques par les prêtres – par ailleurs rémunérés sur fonds publics comme officiers d’état civil et enseignants – et rzeconnaît la validité civile du mariage religieux.

 

En outre, bien que l’Irlande ait depuis 1972 cessé de reconnaître un caractère particulier au culte catholique, le système scolaire primaire et secondaire reste principalement organisé sur une base confessionnelle. La Constitution prévoit que l’État doit s’efforcer de contribuer au financement des initiatives privées (confessionnelles ou non) dans l’enseignement primaire, quand l’intérêt public l’exige, sans discrimination. L’instruction religieuse – essentiellement catholique – est intégrée dans les matières laïques.

 

Quant aux Pays-Bas, si la révision constitutionnelle de 1972 en a fait un état « laïque », l’État continue à favoriser les cultes et un certain communautarisme. On voit bien que la séparation n’est pas pour autant la laïcité !

 

***

 

Si on franchit l’Atlantique, on constate que la religiosité imprègne autant les sociétés anglo-saxonnes que les sociétés latines.

 

Dans les sociétés latines, la lutte pour l’émancipation de la tutelle hispanique ou lusitanienne a conduit à une certaine forme de laïcité compatible avec un  prégnant sentiment religieux. C’est peut-être le Mexique qui est aujourd’hui le plus laïque de ces pays.

 

Aux États-Unis, le premier amendement de la Constitution de 1787 demande la séparation de l'Église et de l'État et garantit la liberté de culte. Il n’y est jamais fait référence à Dieu. La devise originelle des États-Unis est "E pluribus unum" ("De plusieurs, nous faisons un").  Les références à Dieu sont cependant omniprésentes dans la vie publique. La référence "One Nation under God"(Une nation sous Dieu) a été ajoutée au serment d'allégeance en 1954 et la devise "In God We Trust"(Nous nous fions à Dieu ») figurant sur la monnaie remonte à 1956, à l’époque de la Guerre froide, en opposition à l'Union soviétique athée et ne renvoient à aucun dieu en particulier. On évoque une "religion civile" constituant un socle spirituel national et assurant une compatibilité entre religion et laïcité mais depuis George Washington, presque tous les présidents des États-Unis ont prêté serment sur la Bible bien que ce ne soit pas exigé par la Constitution.

 

Au Canada s’opposent anglophones, communautaristes, et francophones, plus sécularistes. Une loi du Québec adoptée le 16 juin 2019, définissant et consacrant formellement la laïcité de l’État dans le cadre législatif actuel et en interdisant le port de signes religieux à certaines personnes en position d’autorité, y compris le personnel enseignant ainsi que les directrices et les directeurs des établissements primaires et secondaires publics, a soulevé un tollé. Cependant , pour le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, « la sécularisation du Québec et la laïcité appartiennent à un long processus débuté dans les années 1800. En Amérique du Nord, cette spécificité autour de la laïcité et de la langue française doit être protégée ».

 

Ainsi, si la laïcité régresse en certains points du globe, elle demeure un objectif pour de nombreux citoyens dans le monde, comme ces Algériens, tels Tarik Djerroud qui proclame que « la laïcité est une morale dans toute sa splendeur, une valeur qui rend la société vivante et optimiste,[...] une chance pour l’Algérie, l’une des meilleures certainement. Et il n’y a que les rentiers de la religion qui refusent la laïcité, il n’y a que les salafistes, les forces de la décadence en somme pour refuser la sécularisation du droit civil et rendre la foi à la seule appréciation du cœur humain. »

 

Aussi, plutôt que de chercher à la laïcité à la Française des « accommodements raisonnables », convient-il de ne pas lâcher prise et de faire en sorte que nous puissions tous vivre en bonne harmonie, indépendamment de nos convictions politiques ou religieuses.

 

Ne se posera plus alors que la question sociale qu’il faudra bien résoudre pour réellement pacifier notre société. La laïcité n’est pas une panacée mais une condition pour pouvoir vivre ensemble.

 

 

 

Jean MOUROT

 

Sur ce sujet et en complément, on lira avec intérêt le livre collectif initié par J.F. Chalot « Laïcité, une exception menacée, regards croisés sur un principe républicain ».

288 p. 15 € - En vente sur <thebookedition.com> ou chez J.F. Chalot.

Flotte petit drapeau...

Le transfert au Panthéon, le 27 mai 2015, des cendres de Jean Zay , en même temps que de trois autres héros républicains, suscite aujourd’hui l’indignation de « patriotes » qui n’hésitent pas à rejouer la partition des fascistes français des années trente.

Une belle brochette d’associations patriotiques qui se défendent de « faire de la politique » font circuler une pétition pour s’opposer au transfert au panthéon des restes de l’ancien ministre de l’éducation nationale assassiné par la Milice en 1944. Ils ressortent à cette occasion un argument avancé par le concurrent direct de Jean Zay à une élection législative en 1932 : non seulement « ce ministre du Front populaire n’a été qu’une victime parmi d’autres » — « un point de détail », en somme !—, mais à l’âge de 19 ans, dans le secret de sa chambre, il a commis un poème pacifiste insultant le drapeau tricolore à l’ombre duquel tant d’hommes sont tombés pour des enjeux qui les dépassaient quand il n’a pas couvert de cruelles expéditions coloniales voire des répressions criminelles comme celle des Communards.
L’extrême-droite actuelle n’a pas manqué de saluer cette pétition. On peut lire sur le site de « Polemia »: « Jean Zay n’est ni un saint, ni un héros, juste une victime. Il n’est pas mort les armes à la main. Et comme ministre du Front populaire, il a participé au désarmement de la France, antichambre de la défaite de 1940. Ministre de l’Education nationale en 1937, il a aussi posé les fondements de la réforme de l’école dont nous subissons aujourd’hui encore les effets délétères. »
Comme l’écrit dans l’Opinion J.D. Merchet, spécialiste reconnu des affaires militaires,  « cette affaire est consternante. On peut, et même, on doit débattre des mérites de l'ancien ministre de l'Education nationale du Front populaire. On peut parfaitement estimer qu'il n'a pas sa place au Panthéon, sans être voué aux gémonies. Mais avant de prendre position, il faut travailler un peu et ne pas se contenter de réagir par simple réflexe passionnel ».

Une erreur de jeunesse?
Abreuvé pendant son enfance de littérature cocardière et de glorification quasi religieuse d’un drapeau dont l’extrême droite s’était déjà approprié, il avait écrit, dans le cadre d’un exercice littéraire entre étudiants, en réaction aux textes cocardiers dont on leur rebattait les oreilles, le poème qui suit où il exprimait avant tout son horreur de la guerre dont on venait de sortir.

Ils sont quinze cent mille qui sont morts pour cette saloperie-là.
Quinze cent mille dans mon pays,
Quinze millions dans tout les pays.
Quinze cent mille morts, mon Dieu !
Quinze cent mille hommes morts pour cette saloperie tricolore…
           

Quinze cent mille dont chacun avait une mère, une maîtresse,
Des enfants, une maison, une vie un espoir, un cœur…
Qu’est ce que c’est que cette loque pour laquelle ils sont morts ?
           

Quinze cent mille morts, mon Dieu !
Quinze cent mille morts pour cette saloperie.
Quinze cent mille éventrés, déchiquetés,
Anéantis dans le fumier d’un champ de bataille,
           

Quinze cent mille qui n’entendront plus JAMAIS,
Que leurs amours ne reverront plus JAMAIS.
Quinze cent mille pourris dans quelques cimetières
Sans planches et sans prières…
Est-ce que vous ne voyez pas comme ils étaient beaux, résolus, heureux
De vivre, comme leurs regards brillaient, comme leurs femmes les aimaient ?
Ils ne sont plus que des pourritures…
Pour cette immonde petite guenille !
Terrible morceau de drap coulé à ta hampe, je te hais férocement,
Oui, je te hais dans l’âme, je te hais pour toutes les misères que tu représentes
           

Pour le sang frais, le sang humain aux odeurs âpres qui gicle sous tes plis
Je te hais au nom des squelettes…
Ils étaient Quinze cent mille
Je te hais pour tous ceux qui te saluent,
Je te hais a cause des peigne-culs, des couillons, des putains,
Qui traînent dans la boue leur chapeau devant ton ombre,
Je hais en toi toute la vieille oppression séculaire, le dieu bestial,
           

Le défi aux hommes que nous ne savons pas être.
Je hais tes sales couleurs, le rouge de leur sang, le sang bleu que tu voles au ciel,
Le blanc livide de tes remords.
Laisse-moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grand coup
           

Les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts.
           

Et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré et tes victoires,
           

Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs.

Une campagne antisémite ?
Le précédent secrétaire aux anciens combattant ne s’y est pas trompé, qui déclarait en mars 2014:
Vous fondez votre position sur un poème écrit par Jean Zay en 1924. Ce texte écrit dans sa jeunesse, à l'âge de 19 ans, n'était pas destiné à la publication. Il émerge en 1932, lors d'une campagne électorale et il est communiqué à la presse locale d'extrême-droite qui en fait un argument censé prouver l'appartenance de Jean Zay à "l'anti-France". Bien que Jean Zay s'en soit alors expliqué devant la chambre des députés, il est utilisé par une extrême-droite profondément antisémite pour dresser son procès politique. Il est ainsi publié en 1934 par la presse antisémite, celle-là même qui deviendra collaborationniste après la défaite, et ressurgira à chaque étape de la carrière de Jean Zay alors même qu'en votant le budget de la défense nationale, il manifestait son refus du pacifisme, sa lucidité et sa fermeté face aux périls extérieurs auxquels la France allait devoir faire face. Dès octobre 1940, les mêmes tentèrent de faire le procès d'une personnalité pourtant si viscéralement attachée à la France. C'est en effet Vichy qui le condamne à la dégradation et à la déportation (...). A travers Jean Zay, c'est un régime politique qui était visé, la République. Pourtant, tout dans le parcours de cet homme exemplaire devrait nous convaincre de sa légitimité pour entrer au Panthéon. (...) Ainsi donc, Jean Zay aura été un grand patriote et un grand républicain. Il réunit d'ailleurs aujourd'hui les républicains de droite -ainsi François Fillon en 2004 lui rendit-il hommage- comme de gauche. Je suis certain que l'évidence des mérites de Jean Zay vous conduira à reconsidérer la position que vous avez exprimée, et que vous serez sensible à l'incompréhension qu'elle a pu susciter chez les nombreux Français qui sont attachés à cette figure patriotique".

Seules, de rares associations ont retiré leurs signatures.
On peut s’interroger sur cette résurgence de la campagne des années 30 qui pilonnait le « juif » Zay (Converti au protestantisme de sa mère et agnostique de fait, il ne l’était que par son père).
Son opposant orléanais, lors des élections législatives de 1936, déclarait à ses électeurs  : "  La lutte n'est pas entre Jean Zay et Maurice Berger, si détestable que soit le ministricule du Torchon rouge : elle est entre la France et les tenants de l'étranger révolutionnaire, entre le Drapeau tricolore et la loque sanglante, entre l'ordre et le désordre . " Quant à Léon Daudet, le 16 juillet 1939, il stigmatisait l'action du " juif Torche Zay  " dans un éditorial de L'Action française consacré au ministère de l'Éducation nationale. Pour sa part, Céline, affirmait que " sous le négrite juif Jean Zay la Sorbonne n'est plus qu'un ghetto ". Tous ressassaient le thème de la corruption de la jeunesse par ce ministre juif, comme Marcel Jouhandeau, dans Le Péril juif en 1937 : "Mais la pire calamité, non seulement imminente, actuelle ; accomplie, réalisée déjà sous nos yeux, sans que personne ait seulement crié gare, c'est celle qui regarde l'éducation des enfants et des jeunes Français : M. Jean Zay, un Juif, a entre les mains l'avenir vivant de ce pays : il peut en pétrir à sa guise, à sa mode, la matière et l'esprit. Tout dépend de sa volonté et en effet il vient de réformer l'enseignement. [...]"  Ainsi l'on ne chante pas seulement l'Internationale dans les rues ; à l'oreille de l'enfant, à l'oreille du jeune homme, dans nos écoles, on fredonne d'autres paroles moins grossières sans doute, mais qui, pour être plus subtiles, n'en ont pas moins le même sens et les mêmes visées et peu à peu, quand on l'aura bercé de cette chanson, quand il aura oublié qu'il est Français, l'héritier d'un grand peuple et d'un merveilleux passé, devenu homme, il se réveillera l'esclave du Juif. " (cités par Olivier Loubes dans l’Histoire mensuel, de mai 2006) 

Consulter aussi

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_2001_num_71_1_1380


On sait le rôle néfaste joué dans les années 30 par certaines associations d’anciens combattants qui ont viré dans le fascisme puis dans le vichysme et la collaboration. On peut souhaiter que les signataires de l’appel contre la « panthéonisation » de Jean Zay n’aient pas suivi un chemin identique et qu’avec Roger Karoutchi, conseil régional UMP d’Ile-de-France et ancien ministre, il finissent par « lui reconnaître son rôle de grand républicain » mais aussi par approuver « un signe fort par rapport à la façon dont il a été tué ».
J’ajouterai qu’il conviendrait que les amis de ceux qui l’ont assassiné ne le tuent pas une seconde fois.



L'école en panne d'autorité

Quand notre société tousse, l'école éternue

Les récents incidents ayant mis en cause de jeunes enfants se refusant à honorer les morts des dernières tueries de Charlie et du SuperCacher ont remis en lumière une des faiblesses de notre école : le déficit d'autorité. Rien ne va plus dans notre bonne république à cause de l'incorrection et de l'indiscipline des élèves dues à la démission supposée des professeurs, incapables de se faire respecter.

 

Dans son édito de Marianne du 30 janvier 2015, Jacques Julliard applaudit « au retour de l'autorité à l'école », dans le discours ministériel tout au moins, comme si cela se décrétait depuis les bureaux de la rue de Grenelle. Une autorité qui selon lui n'a rien à voir avec l'autoritarisme mais découle de la supériorité de celui qui sait sur celui qui ne sait pas. « la seule autorité que nous reconnaissons est celle du savoir et de la raison. » Un savoir qu'il conçoit comme « élaboré selon les règles de l'esprit scientifique ».

 

Tout cela est bel et bon mais si un professeur de mathématiques peut faire autorité dans sa matière, en quoi cela lui donne-t-il une supériorité dans une discussion d'ordre général ? En quoi un diplôme de l'enseignement supérieur en latin-grec donne-t-elle autorité à un enseignant pour discuter du sexe des anges ou de la longueur de la barbe de Mahomet ?

 

L'autorité ne se décrète pas. Certains enseignants ont la chance de pouvoir compter sur une autorité « naturelle ». D'autres savent établir leur autorité par un savant mélange de fermeté, de compréhension et de respect de l'élève… Mais en fait l'essentiel vient des enfants et du monde dans lequel ils vivent.

 

Dans l'école d'autrefois, comme dans la société, le respect de l'autorité allait de soi. Certains rebelles passaient outre mais ils étaient minoritaires et contaminaient rarement le troupeau. Des anciens aiment raconter que lorsqu'ils se plaignaient d'avoir reçu une gifle à l'école, ils en recevaient une autre en complément à la maison.

 

Nous n'en sommes plus là. Nous avons connu mai 1968. Pour le meilleur et pour le pire. Sous prétexte de respect de l'enfant, le laxisme s'est installé dans bien des familles avec le culte de l'enfant-roi. Et comme beaucoup de parents étaient aussi « savants » que les maîtres, ils ont voulu mettre leur grain de sel dans l'enseignement reçu à l'école par leurs enfants. Et le statut moral des enseignants s'en est trouvé diminué. En outre, le consensus social qui avait affermi la 3ème république a depuis longtemps volé en éclat. Et comme l'école s'est ouverte au monde, elle a importé bien des conflits extérieurs.

 

Par ailleurs, la notion de laïcité ayant été battue en brèche par une tendance au repli communautaire et l'ignorance des jeunes enseignants (Il est bien loin le temps des « séminaires laïques » qu'étaient les « écoles normales d'instituteurs »!) chaque élève prétend relever d'une autorité supérieure à celle du maître, d'autant que bien des parents dénient[1] à l'école tout rôle éducatif (l'éducation étant considérée comme relevant exclusivement de la famille) .

 

 

 



[1]
J'entendais (samedi matin 31/01) une docte intervenante dans une émission de Serge Moati sur LCP prôner, comme alternative à la ghettoïsation des établissements, l'imposition d'une plus grande mixité sociale dans les écoles. Elle oubliait l'existence de l'enseignement privé qui permet à ceux qui le souhaitent d'échapper aux promiscuités indésirables (c'est peut-être une des raisons de l'apparent accroissement des écoles juives permettant dans certains quartiers, à de jeunes juifs d'échapper aux brimades de jeunes antisémites...)

Il était une fois un instit.....

A la fin des années 80, un gouvernement de "gauche" poursuivait la politique menée par les gouvernements de droite qui voulaient faire disparaître les Ecoles Normales d'instituteurs. Jospin met sur orbite les IUFM, ferme les EN et transforme les écoles, lieu d'éducation et d'instruction en "lieu de vie".....

Les instituteurs disparaissaient pour laisser la place aux professeurs des écoles...

« La dernière classe 1984-1990 »

de Jean J. Mourot

Le scorpion brun-the book édition

avril 2013-15 €

Jean Mourot est l'un des derniers instituteurs...

Finissant sa carrière au moment où l'instituteur devenait « professeur des écoles », il aurait suffit qu'il prolonge sa carrière d'un an pour obtenir ce « grade ». Il a préféré « rendre son tablier » plutôt que de s'adapter pour un an à cette nouvelle école où l'on passe de l'enseignement au projet pédagogique.

Ce n'est pas un nostalgique, il ne refuse pas l'innovation mais comme beaucoup de ses collègues il pense que l'enseignement et l'animation socio-éducative constituent deux espaces éducatifs utiles mais différents.

Quand il prend sa retraite, Léon Jospin est passé par là avec la transformation définitive des Écoles Normales d'instituteurs et d'institutrices en IUFM ( Institut Universitaire de Formation des Maîtres) et la mise en orbite de l'école à caractère propre....à chacun son projet et bientôt une concurrence qui risque de s'installer !?

Instituteur rural, Jean Mourot s'installe comme directeur de 5 classes dans une commune rurbaine de Basse Seine. Il nous conte à la fois les relations nouées avec la municipalité et à la fois la difficulté de s'adapter aux changements qui surviennent...

Avec humour, parfois aussi avec gravité, il fait le point sur les modes qui se succèdent.  Ah l'informatique pour tous et ces drôles de machines peu performantes qui ont terminé dans les placards ! Pour les enseignants, malgré l'absence de formation et de préparation, il s'agissait là d'un outil … pour l’État c'était de la poudre aux yeux, l'objectif principal étant de «  promouvoir l'ordinateur personnel auprès d'un large public sans tenir compte des réflexions sérieuses sur l'outil informatique ».

Ce livre, bien écrit, lie l'histoire locale et personnelle d'un des derniers hussards de la République de la génération Écoles Normales et l'histoire des bouleversements importants qu'ont connu l'institution école.

Il s'agit aussi de s'inscrire dans un contexte ce qui conduit l'auteur qui à cette époque était militant syndicaliste à l’École Émancipée, tendance révolutionnaire de l'enseignement à nous faire part des analyses qui étaient les siennes.

Il ne tronque pas, il reproduit intégralement certains de ses écrits comme celui, autocritique « Vivement les diplômes, on sera tous des profs ».

Il ironisait déjà il y a plus de 20 ans sur cette formation universitaire de haut niveau pour tous de la maternelle à l'université :

«  On se demande d'ailleurs, après des années d'habitudes de vie dans les métropoles culturelles, quels néo-diplômés accepteront d'aller s'enterrer dans ces villages minables et coupés du reste du monde où il faut faire des heures de voiture pour aller seulement à la piscine ou au cinéma ».

Le trait est dur mais juste...quant au qualitatif de « minable » c'est de l'humour car Jean Mourot aime la campagne et ce lien fort qui se maintient et se développe dans les villages et petites villes à visage humain.

 

J.François CHALOT (Agoravox)

Soldats de métier ou chômeurs dissimulés ?

Les obsèques solennelles des quatre derniers « morts pour la France » en Afghanistan ont amené certains à s’interroger : fallait-il une telle solennité pour des hommes qui n’avaient finaleme

Il est vrai qu’on en fait moins pour les nombreuses victimes des accidents du travail comme pour ceux que la pression hiérarchique amène à craquer et à se suicider.

Il fallait, en l’occurrence, montrer qu’ils n’étaient pas des soldats perdus, comme ceux d’Indochine de 1946-54, et qu’ils avaient participé à une mission sacrée au nom de la France et pour la sécurité des Français —une problématique contestable et d’ailleurs contestée.

 

Etaient-ils pour autant des soldats de métier qui avaient choisi d’aller au baroud en toute connaissance de cause et par gout de l’aventure et des amitiés viriles ? Une étude d’il y a quelques années montre que l’on s’engage le plus souvent par manque de perspectives professionnelles plus que par vocation guerrière.

 

On devient EVAT (engagé volontaire de l’Armée de terre) de 17ans et demi à 29 ans, sans aucune qualification pour 1200€ brut par mois au début, logé, nourri, en signant un engagement de 3 à 5 ans. La situation de VDAT (Volontaire de l’Armée de terre) de 18 à 26 ans est moins contraignante (engagement d’un an seulement, renouvelable quatre fois) mais aussi moins rémunérée (700€ brut par mois au début) avec la possibilité de passer EVAT au bout de 10 mois. <http://www.jobintree.com/metier/militaire-rang-armee-terre-798.html>.

Un slogan déjà ancien proclamait « l’Armée vous apprend un métier ». Et il est vrai qu’à part le métier de combattant à pied, elle donne à beaucoup l’occasion de se former dans la mécanique, les transmissions, le secrétariat, etc. L’armée permet ainsi d’échapper au chômage mais elle offre aussi une reconnaissance sociale et une stabilité dans l’emploi qu’on trouve de plus en plus difficilement dans le civil.

Jean-François Léger, de l’observatoire social de la Défense notait déjà il y a quelques années : <http://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2003-4-page-713.htm>

 « Les contrats proposés par les armées offrent aux jeunes une certaine sécurité statutaire. Comme l’ont expliqué la plupart des jeunes rencontrés dans les centres d’information des armées, ces contrats sont « solides ». En dépit de leur durée déterminée (...) , ils acquièrent dès lors un aspect éminemment sécurisant : les jeunes savent pour combien de temps ils sont recrutés et n’ont pas le sentiment que leur contrat sera remis en cause pendant sa durée. La notion de précarité n’est donc pas associée aux contrats d’engagés volontaires. Ils constituent une réelle garantie statutaire et permettent aux jeunes de se sentir « dans la peau » d’un véritable salarié. En effet, les statuts qui leur sont bien souvent offerts sur le marché de l’emploi civil rendent difficile leur affirmation sur le marché du travail. (...) Ces contrats leur donnent l’impression de rester en marge du marché de l’emploi, d’être des « intermittents » du travail, et non des actifs occupés à part entière. Nombre d’entre eux peuvent alors développer le sentiment que leur rémunération est une forme d’obole, et non la contrepartie équitable de la mise en œuvre de compétences. »

Il rapporte ainsi ce témoignage d’un jeune soldat :« Par rapport à ce que je fais [des petits boulots, sous la forme de contrats plus ou moins formalisés], à l’armée, on a un contrat. C’est un salaire qui tombe tous les mois, on n’est pas obligé d’aller pleurer en fin de mois pour avoir la paye. Parce que des fois, on te paie “au black”, t’as l’impression d’être un voleur, alors que t’as juste fait ton boulot. Alors que là, l’armée, c’est quand même vachement carré, t’es reconnu, c’est un plus, c’est sûr. C’est une garantie. De ce côté-là, l’armée, c’est “clean”. On bosse, on est payé, il n’y a pas d’embrouilles. »

Et JF Léger de préciser : « La place occupée par l’institution militaire au sein de la société et sa permanence historique contribuent fortement à crédibiliser les contrats offerts par cette dernière et à leur conférer un caractère sécurisant. L’armée a toujours existé, et cette existence ne saurait être remise en cause. Elle n’est donc pas dépendante des aléas socioéconomiques, comme l’est le monde de l’entreprise. Être militaire, c’est, en quelque sorte, être protégé du risque de licenciement économique. En ce sens, le fait de s’engager est, d’un point de vue strictement contractuel, sécurisant : en s’engageant, les jeunes savent que leur statut est garanti. Cette sécurité contractuelle se double d’une rémunération qui est compétitive par rapport à ce que propose le marché du travail civil (Mattiucci, 2001). La solde proposée aux militaires du rang (sans compter les primes à l’engagement, les avantages en nature tels que le logement ou les repas) se situe au-dessus du revenu médian des salariés âgés de 15-24 ans (854  en 1999)  [Source : Insee, Enquête Emploi 1999], tandis que les engagés volontaires perçoivent chaque mois une solde supérieure à 1000 ). 

 

Evidemment, il y a toujours des idéalistes et des têtes brulées, des amoureux des armes et de l’aventure mais on trouve plutôt les premiers chez les officiers et les derniers dans des corps spécialisés comme les paras de la Légion ou de l’Infanterie de Marine.

Quoi qu’il en soit, le plus antimilitariste des citoyens ne peut se réjouir de voir ces jeunes gens se faire tuer pour des causes perdues dont la légitimité n’est pas toujours évidente. On devrait laisser tous les va-t-en-guerre revêtir l’uniforme et aller risquer réellement leur vie au lieu de risquer, comme trop souvent, celle des autres.

 

Une année dans le chaudron de la guerre d’Algérie

Il y a 50 ans, les accords d’Evian devaient mettre fin à la guerre d’Algérie... Un sous-lieutenant appelé se souvient...

Le 50ème anniversaire des accords d’Evian va probablement relancer la polémique sur la date à retenir pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie et rendre hommage aux victimes de cette tragédie.

Laissant aux Algériens le soin de célébrer leur victoire chèrement payée par leur peuple et les combattants de l’intérieur, plus que par les dirigeants rescapés de l’extérieur qui ont rapidement pris les rênes du nouvel état, Jacques Langard, sous-lieutenant du Contingent jeté dans le chaudron de cette guerre qu’il n’avait pas voulue, témoigne de ce que fut le sort de bien des jeunes appelés français contraints de « crapahuter » sur une terre hostile et de combattre en regardant « la mort en face », comme on le chante dans l’hymne de l’Infanterie de Marine.

Son ouvrage est en même temps un hommage aux près de deux millions de garçons qu’une république imprévoyante a impliqués dans un combat douteux pour une cause perdue, dans ce qu’on considérait alors comme un ensemble de départements français, et particulièrement aux 15 000 d’entre eux qu’un sort tragique conduisit à la mort. Une mort que Jacques Langard, jeune sous-Lieutenant appelé de 21 ans, sorti en 1958 de l’EMI de Cherchell, après huit mois comme instructeur en Allemagne  a tutoyé dans son régiment d’Infanterie de Marine, des bois de l’Ouarsenis aux confins algéro-marocains, de piton en piton, dans les taillis ou parmi les touffes d’alfa, dans le vent glacé ou sous le soleil accablant, chasseur chassé sous la menace de l’invisible fellagha... sans pour autant se livrer aux exactions qu’on a pu reprocher à certains éléments de l’armée française alors chargée du « maintien de l’ordre ».

Ce livre vient à point rappeler ou apprendre aux jeunes générations ce que fut la condition de leurs pères ou grand pères dans ce combat qui n’était pas le leur mais auquel ils n’avaient pu échapper. Ses récits, ses anecdotes, ses portraits, ses réflexions ont un accent de vérité que souligne un style familier à l’image du langage des hommes du terrain. En dépit de la dureté du vécu quotidien, l’auteur ne se départit pas d’une certaine distanciation allant jusqu’à l’humour, pour en sourire de peur d’avoir à en pleurer.

 

Jacques Langard : « Nous regardions la mort en face !1959-1960 Un sous-lieutenant appelé dans la guerre d’Algérie » BoD-Le Scorpion ; 168 pages illustrées ; 10,90 € ; ISBN n° 978-2-8106-2455-3

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Un syndicaliste méconnu:

Michel Chauvet

1931-2001

On ne le trouve pas sur Google. Il ne figure pas dans le Maîtron. Et pourtant Michel Chauvet a fortement marqué le syndicalisme enseignant de 1967 à la fin des années 90. Onze ans après sa mort,


 

Le nom de MIchel Chauvet est inséparable de celui de l’ancienne « École Émancipée », la revue des syndicalistes révolutionnaires de l’Enseignement depuis 1910 jusqu’à sa captation en 2002 par une fraction trotskiste décidée à s’impliquer exclusivement dans la toute nouvelle FSU (Fédération Syndicale Unitaire) en participant par ailleurs à sa direction, en contradiction avec les règles qui avaient jusqu’alors prévalu dans la tendance syndicale dont la revue était l’émanation.

Fils d’un couple d’instituteurs qui avait donné de nombreux enfants au syndicalisme (l’un d’eux dirigea longtemps la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale, la MGEN) il vint très tôt au militantisme. D’abord militant de la SFIO (tendance pivertiste, ie de gauche) il s’en éloigna au moment de la guerre d’Algérie avec ceux, dont Édouard Depreux et Alain Savary, qui allaient fonder le PSA (Parti socialiste autonome) avant de constituer avec d’autres mouvements le PSU (Parti socialiste unifié) qui connut son apogée au moment des évènements de 1968.

Instituteur en Seine maritime depuis 1952, il milita parallèlement à la Libre Pensée et au Syndicat National des Instituteurs (SNI) au sein de la FEN (Fédération de l’Éducation Nationale, autonome, pour avoir refusé la scission de la CGT de 1947-48).

Vers 1967, il rejoignit la « tendance » des « Amis de l’École Émancipée » qui regroupait autour de la revue syndicale et pédagogique fondée en 1910 l’extrême gauche syndicale de l’époque, syndicalistes révolutionnaires, anarchistes et trotskistes réunis.

1968 lui donna l’occasion, avec l’aide constante et discrète de son épouse Danièle, de fédérer syndicalement les « enragés » des écoles normales d’instituteurs/ trices et les jeunes enseignants radicalisés. Le groupe « École Émancipée » de Seine maritime devint en quelques années le plus important de France .La direction « socialisante » de la FEN et du SNI  et ses challengers proches de la CGT et du PCF durent pendant des années compter avec ce contrepouvoir remuant les empêchant de tourner en rond et d’accepter trop de compromis avec les pouvoirs en place.

Membre à nombreuse reprises du Conseil syndical du SNI et de la Commission Administrative de la FEN de son département il fut élu dans les années 70 au Bureau National du SNI et de la CA nationale de la FEN mais refusa toujours, selon la règle de sa « tendance », d’y siéger pour plus de deux mandats consécutifs. Fidèle au « refus de parvenir » auquel furent attachés ses prédécesseurs, il ne bénéficia d’aucune décharge de service en tant que permanent syndical et exerça dans une classe à plein temps du début à la fin de sa carrière.

 Responsable national de la « tendance École Émancipée » à deux reprises, de 1970 à 1971 et de 1982 à 1984, il réussit à y maintenir le nécessaire équilibre entre les diverses sensibilités qui s’y affrontaient parfois, sans laisser aucune d’elles en prendre le contrôle.

Directeur de la publication de 1986 à 1996, il sut fédérer les compétences et les mobiliser pour en faire une revue journalistiquement présentable, en dépit du manque de moyens et d’un tirage plutôt confidentiel.

Lors de l’éclatement de la FEN en 1992, il ne pourra empêcher la fraction dirigée par le secteur enseignant de la LCR d’entrainer l’ÉÉ dans le sillage du « courant de pensée » « Unité & Action » et de l’aider à fonder la fédération concurrente de la FEN, la FSU, en même temps que ses militants qui refusaient de choisir entre la peste et le choléra se dispersaient dans des structures diverses.

Ayant très mal vécu cette période, il prendra du champ avec l’action syndicale et mourra avant d’assister au dernier acte : l’éclatement de cette structure à laquelle il avait consacré l’essentiel de son énergie, « l’École Émancipée », dont l’avatar actuel n’est qu’une contrefaçon et que tente bien difficilement de continuer « l’Émancipation syndicale et pédagogique »

Michel Chauvet a bien mérité du syndicalisme et il convient de ne pas l’oublier.

 

Faut-il avoir fait son service militaire en France pour être antimilitariste ?

La sortie d’Eva Joly a suscité contre elle non seulement des réactions xénophobes mais une étonnante unanimité autour de « notre armée, qui se bat aujourd’hui sur beaucoup de terrain »(M.A

Il est de bon ton aujourd’hui, surtout le 14 juillet, de célébrer les vertus de notre république qu’on ne s’étonne guère de voir bafouées le reste de l’année. Mais la quintessence de notre république se situe-t-elle dans notre armée ? Eva Joly a-t-elle tort de proclamer que « le temps est venu de supprimer les défilés militaires du 14 Juillet parce que ça correspond à une autre période ».

 

Nous ne sommes plus menacés par les armées étrangères. On nous a longtemps seriné que l’essentiel de notre protection résidait dans la dissuasion nucléaire. On a supprimé le service militaire de conscription. Notre armée actuelle est une armée de métier qui intervient essentiellement comme gendarme du monde. Le gouvernement l’engage presque toujours sans consultation du Parlement et les seuls à s’émouvoir sont les familles des soldats. Normal, la plupart des Français savent que tous les métiers comportent des risques et que l’on de donne pas de médailles à ceux qui meurent sur un chantier. On s’apitoie sur le sort des soldats tués en mission et c’est normal. C’est triste. Mais cela fait partie des risques du job. On mourait d’ailleurs beaucoup plus au combat autrefois.

 

Est-il vraiment scandaleux de rêver « que nous puissions remplacer ce défilé par un défilé citoyen où nous verrions les « enfants des écoles, où nous verrions les étudiants, où nous verrions aussi les seniors défiler dans le bonheur d'être ensemble, de fêter les valeurs qui nous réunissent ». Cela me fait penser aux fêtes de la Jeunesse des années d’après-guerre. C’est peut-être un peu ringard mais on pourrait creuser l’idée d’une célébration de la fête nationale qui ne soit pas guerrière. Comme celle de la « Méridienne verte » de l’an 2000, avec son « incroyable piquenique » ou comme le défilé de J.P. Goude le soir du 14 juillet 1989, pour la célébration du bicentenaire de la Révolution. Celui-là avait suivi le traditionnel défilé militaire. N’aurait-il pas pu le remplacer ? D’ailleurs, en 1790, le 14 juillet dont on célèbre l’anniversaire depuis 1880, avait pris l’allure d’une « fête de la Fédération », civile et non militaire. Ce n’est que depuis 1919 qu’on défile sur les Champs-Elysées. avec quelques interruptions pour des variantes d’itinéraire. Auparavant, on faisait cela à l’écart, sur l’hippodrome de Longchamp. Ils'agissait de montrer le redressement militaire de la France après la défaite de 1870 et d'entretenir dans l'opinion publique l'esprit de mobilisation pour recouvrer, grâce à l'armée, les provinces perdues d’Alsace-Moselle...

 

Les défilés militaires sont d’ailleurs bien illusoires. Celui du 14 juillet 1939 fut magnifique, même dans la simple ville de Metz où j’y assistai, à l’âge de près de 5 ans. Devant un tel déploiement de force mon père se disait persuadé que « les Boches n’avaient qu’à bien se tenir ! » On vit ce qu’il en advint quelques mois plus tard !

 

Si l’on voulait vraiment entretenir ou créer un lien entre l’Armée et la Nation, il nous faudrait une armée à l’image de l’armée suisse, une armée de citoyens-soldats prêts à tout moment à se mobiliser pour la défense du sol national. Nous n’avons, hélas, qu’une armée de type néo-colonial qui se justifie par un discutable « devoir d’ingérence » à géométrie variable (Afghanistan et Libye, mais pas Syrie ou Birmanie). Les amateurs de défilés militaires pourraient toujours se faire plaisir à un autre date, le 8 mai ou le 11 novembre, par exemple. Mais il est vrai que le temps est en général moins clément ces jours-là ! On continuera donc la tradition militariste et cocardière et l’on fera défiler ad vitam æternam l’armée et la police le 14 juillet pour la plus grande joie des badauds. Et tant pis pour Eva Joly. Elle ne sera d’ailleurs jamais présidente de la République. Alors pourquoi tout ce cinéma autour de ses propos à peine antimilitaristes ?

 

Un article de l’Emancipation syndicale et pédagogique n°6 de fév.2011

25 ANS D'HUMOUR ÉMANCIPÉ

Jean J. Mourot, instituteur en retraite, ancien collaborateur de l'École Émancipée dont il a été longtemps le secrétaire de rédaction, a publié sous le pseudo d' E.Kolémans des centaines de dessins dans cette revue de 1973 à 1996, après avoir illustré à partir de 1972 le bulletin départemental EE de Seine Maritime.

A l'occasion de la sortie de deux albums de compilation de ces dessins pour le centième anniversaire de l'Ecole Emancipée, il a accordé un entretien exclusif à notre camarade Jean François Chalot.

 

—Tu as commencé à dessiner dans ta jeunesse semble t-il. A l'école normale de Rouen et ensuite au moment de ton service militaire en Algérie. La revue Emancipation a d'ailleurs publié une présentation de "la pacification c'était la guerre" où l'on sent déjà un trait de crayon qui ne demande que des occasions pour se défouler...

Puis tu t'es mis à collaborer à la revue Ecole Emancipée en envoyant des dessins d'actualité. Peux-tu évoquer un peu cette première expérience de dessinateur "syndicaliste"?

—C'est Michel Chauvet qui a eu l'idée de me solliciter. En réponse à des attaques des "Majos"de la FEN de notre département (Seine .Maritime ) nous reprochant d'utiliser dans nos critiques une encre "fangeuse et nauséabonde", il avait été convenu de confectionner un bulletin syndical départemental satirique dans le style de Charlie-Hebdo. J'y ai publié en 1972 mes premiers dessins militants, avec des moyens techniques rudimentaires, sur des stencils de duplicateur à encre. L'expérience ayant eu un certain succès, nous l'avons renouvelée plusieurs fois, en brocardant à plaisir nos concurrents syndicaux, bureaucrates bien en place pour la plupart. 

—Tu as donc commencé à dessiner dans le bulletin départemental de Seine Maritime au début des années 70 et ensuite tes dessins ont été repris par la revue Ecole Emancipée.

--- Je n'ai pas tout de suite dessiné pour la revue nationale. Celle-ci n'était pas encore faite pour cela. Très austère, elle n'en publia quelques uns, très rares, qu'à partir de 1971, à la fin de la gestion de Louis Bocquet. Il fallut attendre le n°3 du 10 déc. 1973 pour voir le premier dessin sur la couverture rouge de la nouvelle formule. Par la suite  les illustrations se firent moins rares, trop souvent reprises dans d'autres publications, mais l'on vit apparaître une nouvelle signature, celle du parisien Pelou qui nous donna longtemps des dessins de qualité (il est mort en 1993). J.Desachy, par contre, aura ignoré les dessins envoyés à cette époque par P.Labachot qui finira par devenir le dessinateur attitré de l'Ecole Libératrice.

—Dessinais-tu librement où tes dessins étaient-ils programmés? Comment étaient-ils choisis? Étaient-ils "contrôlés" a priori ?

—En général, on me donnait un thème ou un article à illustrer et je m'exécutais librement. Il arrivait souvent qu'on me commandât une couverture qui était collectivement discutée en "Commission Revue". Quand je proposais spontanément un dessin de mon seul cru, il est arrivé qu'on essaie de me le faire modifier et on a même réussi, très rarement, à le faire passer à la trappe. J'ai dû par contre garder dans mes cartons des dessins envoyés par des copains dont nous n'avions pas l'usage. C'est ainsi que Patrick Gonthier, après nous avoir donné des dessins anticléricaux, a fini par se retrouver au S.E. dont il est devenu Secrétaire Général !

—A la lecture du premier tome de compilation de tes dessins, j'ai constaté que tes premières réalisations étaient très esquissées et que peu à peu tu es passé à des dessins plus élaborés.

—C'est une question de moyens. Au début je dessinais à la pointe directement sur des stencils. Par la suite, l'utilisation de la photogravure a permis de mieux travailler les dessins. Et puis, j'ai fait des progrès, ma référence étant Cabu avec lequel j'avais d'ailleurs publié mes premiers dessins dans un journal pour jeunes ados parfois réalisés par les lecteurs eux-mêmes (cf p.124 du tome 2). J'étais en principe un adepte de la ligne pure et j'ai rarement eu recours au coloriage en niveaux de gris. Ce qui fait que certains préféraient la spontanéité de mes croquis bruts saisis en AG dont in trouve un échantillonnage dans le "bonus" du tome 2.

—Comment régissaient les dirigeants UID (Unité, Indépendance et Démocratie) du département puis nationaux ? Tu ne leur faisais pas de cadeau(x) et ils étaient bien souvent ta cible privilégiée ?

—Je n'ai jamais eu de réaction de leur part. Cela ne leur plaisait guère mais ils préféraient nous faire le coup du mépris. L'UID M. Bouchareissas a toutefois vite compris l'impact du dessin satirique et l'a introduit à son tour dans l'Ecole Libératrice, l'organe du SNI Pegc dont il était le directeur. C'est ainsi qu'il recruté pour des années P.Labachot, avant d'avoir recours à Delambre puis à d'autres.

—Dans ton dessin sur les "engagements pour la paix sociale", tu brocardes trois dirigeants syndicaux... Est-ce à dire que les autres : la CFDT et la CGT sont exempts de critique sur cette question ou qu'en fonction des périodes la collaboration de classes ou la combativité n'était l'apanage d'aucune organisation syndicale de manière permanente.
Qu'en pensait l'Ecole Emancipée de cette époque ?

—Cette année-là (1978), ni Séguy, ni Maire n'avaient signé l'accord salarial dans la Fonction Publique considéré comme un coup de main donné à Barre sans  contrepartie véritable. Ce dessin était toutefois accompagné d'un autre où les leaders de la CGT et de la CFDT déclaraient: "les bons accords... c'est ceux que nous on signe!". Pour l'EE, aucun accord salarial ne fut jamais considéré comme satisfaisant ne serait-ce qu'à cause de l'opportunisme des directions syndicales qui collaboraient ou s'opposaient  aux pouvoirs en place à mon avis en fonction de leurs seuls intérêts de boutique.

 

—L'anticléricalisme a été une constance de l'Ecole Emancipée et dans la revue de nombreux dessins que tu as réalisés se trouvent en bonne place et parfois en première page. Cette constance en ces périodes où les dirigeants politiques de gauche étaient prêts à tous les abandons a t-elle été appréciée par tous les militants ou sympathisants de la tendance ? 
—Je n'ai jamais eu de problème avec ce genre de dessins. Mais je ne suis pas sûr que l'anticléricalisme ait été une priorité pour tous les camarades. Chez nous aussi, il y avait des tentations de "main tendue aux croyants". Mais nous avons eu avec nous des cathos contestataires très anticléricaux et il a fallu, à une époque, venir au secours d'enseignants exploités de l'école catholique. Ce n'est que par rapport à l'Islam que la Tendance s'est profondément divisée.  Tous unis contre les curés, mais pas contre les "barbus", victimes innocentes du racisme et du colonialisme français.

—L'arrivée de la "gauche" et l'élection de Mitterrand ont constitué un tournant et un test pour les directions syndicales. Très vite l'Ecole Emancipée a combattu le renoncement et défendu l'indépendance syndicale.

Peux tu évoquer un peu cette période ?

—Les tiraillements ont eu lieu chez nous plutôt avant qu'après les élections. Fallait-il ou non appeler au "vote ouvrier" ? Le collège du 1er Fev. 1981 a tranché en donnant la consigne suivante: "Sans illusion électoralistes mais avec détermination, battre Giscard ", ce qui  a provoqué quelques réactions furibardes, comme celle de Mormiche du GD 79 dans le n° du 5.3.81 et le franc appel à voter Mitterrand de J.Desachy (N°du 20.4.81). Dès la victoire électorale du candidat socialiste, la revue appelait à la mobilisation pour la satisfaction des revendications (n° du 20.5.81 et du 5.6.81) mais Michel Chauvet douchait notre enthousiasme en rappelant l'expérience avortée du Front populaire : "Le chef de l'Etat et son premier ministre (...) sont condamnés à gérer la crise parce qu'ils refusent de s'appuyer sur la mobilisation des travailleurs(...) mais les centrales syndicales s'emploient toutes  à empêcher cette mobilisation.(...) Cette politique risque fort (...) d'amener les travailleurs à bien des désillusions." Et je concluais pour ma part dans ce même numéro (5.6.81):" C'est plus que jamais le moment d'insister sur ce qui fait notre spécificité d'Amis de l'Ecole émancipée, en offrant aux sceptiques d 'aujourd'hui et aux déçus de demain un cadre pour les luttes émancipatrices sans lesquelles il n'y a pas de réelle libération."
Dès la rentrée, J.Desachy devait reconnaître en titre de son analyse "Plus que de l'inquiétude" et conclure que "le cheminement (...) de la politique gouvernementale ne conduit qu'à l'aggravation du chômage et de l'inflation, qu'à une démobilisation des travailleurs qui ont salué,dans l'enthousiasme, les victoires électorales de mai-juin 1981"(l'EE du 5.9.81).

A la FEN, tout baignait chez les bureaucrates. Henry devenu ministre comme les trois communistes en mission, UID faisait ami-ami avec U&A, la hache de guerre étant provisoirement enterrée, et J.L. Tétrel s'en amusait  lors de la CA du 10.9.81. au cours de laquelle l'EE avait opposé sa propre motion générale offensive contre la complaisante "motion oecuménique U&A-UID". Bien vite cet oecuménisme laissera place à ce que J.Desachy appellera "la course aux fromages", notamment à l'occasion des élections à la Sécu et on oubliera vite les velleités de réunification syndicale.

 

—La droite revient au pouvoir et tu es un des premiers à "croquer" le futur président de la République. Sarko montre à la fois des ambitions et une orientation ultra libérale. Beaucoup à l'EE pensent qu'enfin les directions  syndicales vont agir dans l'unité. Comment as-tu vécu cette période ?

—Mal, bien sûr. Mais au moins on pouvait espérer que la lutte serait plus facile pour les syndicats. Ce fut le cas lors de la grève des cheminots contre Juppé en 1995 ou du conflit des routiers de l'année suivante. Hélas, la zizanie interne à l'EE et la dérive d'une fraction vers une cogestion syndicale avec U&A ont pourri le climat de la tendance et m'ont personnellement amené à m'éloigner du militantisme. La scission de l'EE de 2002 m'a peu surpris. Elle m'apparaissait comme inéluctable à partir de l'élection par correspondance de l'Equipe Responsable par correspondance en 1994. J'ai même trouvé qu'on avait été bien trop patient avec les accapareurs du titre et qu'il aurait fallu aller plus tôt au clash, avant que le rapport de forces interne ne s'inverse. Mais on ne refait pas l'Histoire ! 

 

—Nous pourrions continuer longtemps mais comme ancien rédacteur de la revue, très pointilleux d'ailleurs, tu n'ignores pas que mon nombre de lignes est compté. Il ne me reste qu'à renvoyer les lecteurs à découvrir et déguster tes dessins qui sont parfois encore bien actuels, même si les têtes ont changé. Il leur suffit pour cela de commander les deux recueils et je leur prédis de bons moments, de nostalgie pour les anciens et de curiosité pour ceux qui n'ont pas connu les années Pompidou, Giscard et Mitterrand.

 

 

Un article d'AGORA VOX

L'EN de Rouen rue St Julien
L'EN de Rouen rue St Julien

Au temps des écoles normales primaires

Lu dans l'Emancipation syndicale et pédagogique

28 mois de croisade forcée


1879 : création des écoles normales d’instituteurs(EN) dans chaque département
 une d’instituteurs, une d’institutrices
1969 suppression des classes pré bac dans les EN
1990 suppression des EN par Jospin et création des IUFM ( Institut de "Formation" des maîtres)
2009 suppression des IUFM

Au moment où l’on parle du dur métier d’enseignant, de l’absence de préparation au métier, le livre de Mourot nous rappelle le temps des EN.

«  A l’école des hussards noirs », livre de Jean Mourot chez Book on Demand, 16,9 €, 271 pages, mars 2010

Quand ne sonnait pas encore le glas des Ecoles Normales !

Les Ecoles Normales ont été supprimées définitivement par Lionel Jospin en 1990.

Ses prédécesseurs avaient déjà mis fin en 1969 à l’existence du recrutement en fin de troisième...Avant ces deux dates funestes, des enfants de paysans et d’ouvriers, donc de milieux modestes pouvaient accéder à des études prises en charge par l’Etat et menant au métier d’instituteur ou d’institutrice.

Ces futurs «  hussards noirs  » ont instruit et éduqué des dizaines de millions d’enfants afin qu’ils accèdent aux savoirs.

Jean Mourot, instituteur à la retraite raconte dans ce livre ses mémoires d’élève maître de la promotion rouennaise 1951-1955.

Le portrait qu’il peint avec sa plume ne comporte pas que des couleurs vives et gaies.

L’auteur relate la vie dans ce laboratoire laïque, cette chrysalide, un peu "éteignoir", "d’où est issue l’élite des enseignants du premier degré d’une époque où tant de jeunes bacheliers étaient jetés dans aucune formation dans des classes de 30 à 40 élèves."

Ces normaliens découvrent un univers particulier et vont durant quatre ans se préparer à enseigner aux fils et filles du peuple.

L’existence y était austère et l’ordre «  républicain  » régnait dans ces établissements.

Ganne, militant communiste qui possédait un stock de journaux de propagande a été traduit en conseil de discipline puis exclu de l’Ecole Normale de Rouen alors qu’il était en quatrième année donc en formation professionnelle !

On ne badinait pas avec la «  neutralité  » de l’école en cette période historique où la réaction était reine... C’était au moment de la première loi anti laïque dite lois Marie-Barangé....

Ces Etablissements évolueront...à la fin des années 60, il était beaucoup plus rare qu’un normalien soit viré pour des raisons politiques.

Dans cette EN comme dans d’autres, les jeunes élèves maîtres se construisaient comme futurs éducateurs dès l’entrée en seconde et l’engagement social suivait un cheminement lent mais efficace.

Laissons parler Jean Mourot qui avant de devenir un syndicaliste révolutionnaire pensait que les préoccupations devaient ne pas être pas politiques mais d’ordre professionnel et social :

«  Laissant l’action militante aux entragés, je n’en adhérai pas moins au SNI-et donc à la FEN-par pragmatisme et pour disposer des fiches pédagogiques et de l’information corporative de «  l’Ecole Libératrice  »...

A cette époque il y avait chez les instituteurs 80% de syndiqués et pratiquement un seul syndicat...

Cette adhésion corporative et pédagogique a duré longtemps.

En 1969, trésorier du SNI ( Syndicat National des Instituteurs) à l’EN de Melun, je récoltais chez les «  formations professionnelles  », à la sortie de la paye les cotisations de 95% des promotions !

Jean Mourot profite de l’occasion de ce voyage dans son passé pour évoquer sa participation et celle d’autres élèves maîtres à des activités théâtrales... Toute cette mise en scène permettait de préparer les futurs enseignants à animer les amicales laïques de villages et de villes.

Les jeunes entrés à l’école normale à 15 ans sortaient de l’adolescence à l’entrée en formation professionnelle pour devenir l’année suivante des hommes "prêts à affronter un métier dont nous ne découvririons les dures réalités qu’une fois sortis du cocon de l’Ecole Normale"...

Aujourd’hui il n’y a plus de "cocon", plus de préparation au métier et des jeunes hommes et femmes sont envoyés dans des classes avec comme seul bagage un diplôme universitaire.

Jean-François Chalot

 

 

A la frontière algéro-marocaine
A la frontière algéro-marocaine

 La pacification, c'était la guerre!

Témoignage d'un appelé en Algérie

1957-1959 »

livre de Jean Mourot

Books on Demand, septembre 2009-ISBN 978-2-8106-1531-5

473 pages illustrées-25,90 €. En vente en ligne sur Amazon.fr ou Chapitre.com

ou à commander en librairie (y compris EDMP)

 

Vingt-huit mois de croisade forcée!

 

L'auteur, ancien instituteur syndicaliste à la retraite nous relate ici son expérience d'appelé en Algérie.

Un demi siècle après son retour du service militaire passé pour les 2/3 du temps en Algérie, il nous raconte son « séjour ». Comme de très nombreux jeunes appelés, il n'est pas parti la fleur au fusil.

De toutes façons : c'était officiel ; il n'y avait pas de guerre mais simplement des missions de maintien de l'ordre!?

Sans prendre fait et cause pour les insurgés, il ne partageait pas du tout les vus officiels, de l'État major et des officiers mais il fallait obéir, se taire et marcher, ce qui ne l'empêchait de penser.

Très critique par rapport aux partisans de l'Algérie française, il attendait comme la plupart de ses compagnons que cette guerre qui ne disait pas son nom finisse sans bain de sang .

Aujourd'hui il se rappelle des premiers contacts avec la population autochtone lors de ses classes en se posant la question qui taraudent beaucoup d'entre nous:

«  un demi-siècle après, entre les mitraillettes de l'armée algérienne et les couteaux des islamistes, reste-t-il aux jeunes berger le loisir de jouer de la flûte dans l'Algérie indépendante? »

Que le lecteur ne se méprenne pas, l'auteur ne regrette surtout pas le temps des colonies, cette lutte pour l'indépendance était juste et nécessaire... malheureusement aujourd'hui la situation de la population algérienne n'est pas du tout enviable. On peut parler de révolution trahie.

Dès les premières pages, Jean Mourot plante le décor et livre sa pensée et celle de beaucoup de ses camarades: l'Algérie est cette terre «  où nous allions devoir payer les dettes que d'autres avaient contractées pour nous ».

C'était une sale guerre et elle était vécue ainsi par beaucoup de ces jeunes gens , qu'ils aient eu se battre l'arme à la main où qu'ils aient été épargnés grâce aux hasards d'une affectation géographique.

 

Les descriptions des paysages ainsi que la narration de son service militaire, passé comme deuxième classe puis comme officier de réserve sont un vrai régal. L'utilisation du passé simple et du présent du subjonctif ne gâchent ni l'œuvre, ni la lecture, bien au contraire.

Quant aux dessins réalisés par l'auteur qui n'oublie pas qu'il a été il y a plusieurs années un illustrateur de revues syndicales, ils apportent une larme d'humour.

L'auteur qui deviendra militant syndicaliste révolutionnaire plus tard nous livre les réflexions, les doutes et aussi les contradictions de ces « bidasses » galonnés ou pas qui sous l'uniforme restait des citoyens : « En dépit de notre pacifisme, voire de notre antimilitarisme fonciers, nous faisions tourner la machine avec une conscience professionnelle que bien des cadres de carrière auraient pu nous envier. »

Qu'aurais-je fait moi même si j'étais né 14 ans plus tôt?

Jean Mourot montre dans ce livre témoignage que malgré la chape de plomb qui s'était abattu sur les appelés obligés d'exécuter les ordres, le refus du jusqu'au boutisme gagnait du terrain.

Lui et nombreux de ses camarades ont continuer à réfléchir, à échanger...

Ils ont semé les germes qui ont permis que massivement les appelés voire même des gradés s'opposent au putsch des généraux en décembre 1960...

Ah si le mouvement ouvrier organisé s'était opposé dès le début à la guerre d'Algérie? Mais ceci est un autre volet de l'histoire!

Jean-François Chalot

 

 

 

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